Réflexions sur le travail

Un blog sans prétention, juste pour y jeter mes idées (un peu), celles des autres (beaucoup), réflexions, lectures quand il y en a, sur le monde du travail. Ce qui existe, ce qui pourrait être imaginé pour que se lever le matin pour aller travailler soit un moment agréable, chaque jour.

Les contresens, la psychologie positive et l’écologie

J’ai récemment acheté le bouquin de Jacques Lecomte, intitulé « Les entreprises humanistes ». J’en avais entendu parler à la radio, alors que je faisais un long trajet en voiture (c’est un peu le seul moment où j’écoute la radio d’ailleurs).

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J’ai laissé trainer le livre quelque part dans l’appart’, et en le voyant mon compagnon a eu ce commentaire « Ouh là, les enfants, votre mère est en train de virer babacool« . Et, à vrai dire, j’ai eu un peu le même genre de réaction les quelques fois où j’ai entendu le mot « psychologie positive » (c’est le domaine de recherche de ce Jacques Lecomte dont j’ai acheté le bouquin).

Sans trop creuser, « psychologie positive » évoque d’abord pour moi une sorte de théorie du bonheur, basée plus ou moins sur des thérapies comportementales. Parce qu’on a constaté que si on souriait on se sentait mieux que si on tirait la gueule, et ben, forçons nous donc à sourire un peu plus et voilà, on sera plus heureux. Tout ceci assortit d’un discours que je trouve parfois très culpabilisant quand on est soi-même dans une période où « tout ne vas pas très bien ». Pioché au hasard sur Internet, je trouve par exemple des phrases comme :

« « c’est plus facile de se plaindre que de changer ». Mais en choisissant la facilité, vous avancerez rarement »

« Fuyez comme la peste les personnes négatives »

En gros: « Si tu n’es pas heureux·se, c’est de ta faute, t’as qu’à te bouger un peu ».

Voilà, ma première vision de « psychologie positive ». La seconde c’est le délire babacool-new age, robe blanche, fleur dans les cheveux, amour de soi et de l’autre. C’est exactement celle que me renvoie le sommaire d’un site sobrement intitulé « Psychologie positive« . Notez au passage la citation positive du jour. Allez!! Serons-nous les mains, buvons du Yogi tea (ben oui, avec chaque sachet vous avez droit aussi à votre citation positive) et nous vivrons tous·tes dans la plénitude!

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Et bien, heureusement que j’ai acheté le livre en question, j’ai lu l’intro. Et là, à la page 11, Jacques Lecomte décrit la psychologie humaniste comme :

« l’étude scientifique des conditions et processus qui contribuent à l’épanouissement ou au fonctionnement optimal des individus, des groupes et des institutions[1] »

Et là, tout à coup, le terme de psychologie positive prend un autre sens pour moi. Il ne s’agit ni plus ni moins que de l’écologie appliquée au modèle humain. Et je me rend compte que la psychologie positive souffre des même erreurs d’interprétation que l’écologie scientifique. Erreurs qui conduisent les chercheur·e·s en écologie à se dire « écologogues » pour se différencier des « écologistes ».

« L’écologie est la science qui étudie les êtres vivants dans leur milieu et leurs interactions entre eux[2]« .

Autrement dit, l’écologie c’est « l’étude scientifique des conditions et processus qui contribuent à l’existence ou au fonctionnement constaté des individus, des populations et des écosystèmes« .

La psychologie positive serait donc une branche de l’écologie, celle qui s’attache à étudier les êtres humains. L’écologie scientifique n’a pas pour habitude de séparer ses différentes disciplines selon les modèles d’étude (un « modèle » dans le sens une bestiole ou un système qu’on étudie sous toutes les coutures pour en dégager des grands principes qu’on espère pouvoir appliquer à d’autres bestioles ou systèmes, comme la souris blanche ou la drosophile).

Je ne suis pas du tout, du tout spécialiste des sciences humaines. J’ai souvent énormément de mal avec le vocabulaire propres aux « humanités » parce qu’il utilise fréquemment des termes du langage courant pour leur appliquer des définitions propre à telle ou telle discipline, tel ou tel courant de pensée.

D’un autre côté, parce que j’ai une formation en écologie (scientifique), j’ai tendance à essayer de comprendre mon environnement social en termes de niche écologique, de flux d’énergie, de potentiel d’adaptation, de diversité, d’espèce ubiquiste ou spécialiste, de plantes pionnières, de stratégie K ou r, de compétition, d’interactions, de symbiose, d’équilibres et de crises etc. Et globalement, les modèles écologiques que l’on m’a enseignés me sont extrêmement utiles pour comprendre (et parfois prévoir) mon environnement professionnel.

Pour moi, il y a énormément de matière à penser les organisations humaines du côté des concepts et théories en écologie. La concept de « psychologie positive » me le confirme dans sa définition. Wikipédia en revanche, me dit qu’on n’en est qu’au début, puisque l’encyclopédie collaborative en ligne cite dans la liste des disciplines scientifiques de l’écologie que des aspects des sciences du vivant-hors-être-humains. Par exemple il y a bien « l’écologie des populations qui étudie les relations entre une population d’individus d’une même espèce et son habitat », mais je n’ai jamais vu aucun labo d’écologie des pop qui travaillait sur les humains (on est pourtant bien une population d’individus d’une même espèce non?).

A noter ici qu’en biologie un individu est un organisme vivant (n’importe lequel, un champignon, un arbre, une lionne) à l’exclusion des humains, alors que partout ailleurs un individu est une personne.

Donc, il n’y a pas de disciplines appartenant aux sciences humaines sous le « chapeau » écologie scientifique.

Wikipédia dresse ensuite une liste des « disciplines dérivées de l’acception « large » du terme écologie ». Tout en restant (théoriquement) dans le champ scientifique (et pas dans le champ politique et/ou militant écolo). Là on a une belle liste où apparaissent des choses comme « Ecologie humaine », « Ecologie sociale », qui mène ensuite à « Ecologie urbaine ».

Pleine d’espoir, je clique sur les différents liens de ces écologies, pour me rendre compte rapidement, que ces « écologies » là sont, soient centrées sur les rapports des humains à la nature, soient des courants philosophiques, politiques, économiques très engagés. Pas du tout l’analyse des interactions humaines avec la grille de lecture des écologues que j’espérais.

Finalement, les liens entre l’écologie que je connais et la psychologie positive se limitent à « la génération d’interactions interdisciplinaire ». Ouais, chouette. Abandonnons donc Wikipédia et revenons à Jacques Lecomte, qui s’attache à un écosystème particulier, celui du monde du travail. Cet article est en fait le premier d’une série que je compte consacrer à ce bouquin, toujours dans le même but, garder une trace quelque part de l’état et l’évolution de ma réflexion sur les organisations au travail.

Après avoir donné une définition de la psychologie positive, Jacques Lecomte souligne l’importance d’une approche écosystémique du monde du travail. C’est à dire, une approche qui doit prendre en compte simultanément l’individu, ses relations avec les autres et le fonctionnement global de l’organisation. Yeah!

Et il conclut son introduction avec cette jolie phrase « Servir le bien commun en décrivant de belles sources d’inspiration, telle est la finalité de cette ouvrage ».

Tiens ça me fait penser que, question « bien commun », je dois un billet de blog à Lilian, que je n’ai toujours pas écrit. Ça sera un intermède, avant la suite de la lecture des « Entreprises humanistes »

 

 

[1] Gable S.L. et Haidt J. (2005), « What (and why) is positive psychology? », Review of General Psychology; 9 (2), 103-110 (p.104).

[2] https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89cologie

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Cette entrée a été publiée le 10 avril 2016 par dans Livres, et est taguée , , , , .
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